Interview de Régine Vanheems :
professeur agrégé des universités et directrice de l’Observatoire du Cross-Canal et du Commerce Connecté(O4C)
Après avoir co-dirigé le laboratoire de recherche en management de la Sorbonne, (laboratoire PRISM-SORBONNE), Régine VANHEEMS, docteur en Sciences de gestion, Professeur agrégé des Universités (Université de Lyon 3) a co-fondé et co-dirige actuellement l’Observatoire du Cross-Canal et du Commerce Connecté (O4C).
Pourquoi dites vous que les technologies digitales transforment les relations entre les hommes, mais pas forcément dans le sens où on s’y attend ?
Les technologies digitales transforment les relations entre les hommes, ce n’est pas nouveau. En 20 ans, les technologies digitales ont été à l’origine de profondes mutations chez l’individu dans son quotidien que ce soit dans son travail, son accès à la sphère marchande et sa relation avec les autres. Sa manière de travailler, d’acheter, d’être « avec les autres » a davantage changé en 20 ans qu’en 20 siècles !
L’augmentation du temps passé devant les écrans et la multiplication du nombre de devices utilisés pour accéder à la sphère virtuelle (ordinateur, tablette, smartphone, outils digitaux multiples …) révèlent combien l’être humain ne peut se passer, voir est dépendant des technologies digitales.
Ainsi le couple humain/technologie est devenu indissociable à tel point que Carlos Moreno1 parle de « prolongement du corps » en parlant du smartphone tandis que Russel Clayton2 utilise le terme de « nomophobie » (contraction de « no mobile » et de « phobie ») pour qualifier la peur panique de certaines personnes d’être privées de leur smartphone.
Ainsi au sein du couple humain/technologie, la technologie semble être devenue le cœur. Pourtant, les choses ne se passent finalement pas tout à fait comme cela… Lors de mes conférences, j’aime bien dire qu’à « force de passer des heures devant des écrans froids et sans âme, c’est bien l’humain, la relation en « vrai » (« vrai » dans tous les sens du terme) avec l’autre qui devient rare. Et en se raréfiant, comme toute ressource rare, elle devient précieuse, très précieuse, remettant progressivement la technologie à sa place, être au service de l’humain.
Quelles sont les conséquences de cette évolution pour les entreprises ?
Je m’intéresse notamment au client, au shopper et les études et recherches que je mène sur ce sujet indiquent que lorsqu’une personne quitte son ordinateur pour se rendre dans un point de vente ou qu’elle appelle une plateforme téléphonique, c’est avant tout la relation qu’elle va avoir avec la personne avec laquelle elle entre en contact (front-office) qui est différenciante et qui va lui donner envie de revenir (ou non) vers l’enseigne ou la marque.
Ainsi lorsque le client quitte la machine, il vient rechercher de l’humain. Aujourd’hui les entreprises, accaparées par leur digitalisation et leur transformation numérique sont avant tout orientées vers les technologies. Si ce passage vers la technologie constitue un passage obligé pour les entreprises, (une étude révèle que parmi les sociétés qui ont fait faillite, 81 % d’entre elles n’étaient présentes ni sur Internet, ni sur les réseaux sociaux, 3 …), les enjeux pour les années qui viennent seront ailleurs. Car s’il paraît aujourd’hui naturel (et indispensable !) pour les clients de pouvoir accéder à l’offre commerciale d’une entreprise à la fois en « off-line » et en « on-line », ils recherchent aussi autre chose… Aujourd’hui, leurs attentes sont ailleurs… et les entreprises n’y répondent pas vraiment.
L’enjeu dans les prochaines années sera d’intégrer l’humain dans un dispositif qui est pour l’instant surtout orienté technologie. L’enjeu est notamment de réinventer les métiers de personnel en contact.
En termes de relations avec les clients, comment voyez-vous les choses ?
Le personnel au contact, et de manière générale, de front office devient l’élément central quel que soit l’endroit où il entre en relation avec le client (en magasin, par des plateformes téléphoniques, par les services de réclamations…).
J’interviens beaucoup sur la problématique des vendeurs et des commerciaux, parce que je pense que les vendeurs ont été les grands oubliés, il y a 10 ans de la que l’on appelait alors la « multi-canalisation » des entreprises. Ainsi par exemple lorsqu’une entreprise implantait un site Internet en plus de son magasin, elle ne se rendait pas compte que cela allait transformer radicalement le métier de ses vendeurs en magasin. Le vendeur en magasin ou le commercial en B to B a vu son métier bouleverser face à un client de plus en plus connecté. Sa relation avec le client, son environnement, ses tâches et ses missions ont été progressivement transformés sans que personne ne s’en rende vraiment compte. Mis dans une situation inconfortable, le vendeur que je qualifie dans mon ouvrage de « vendeur myope » doit gérer une relation pas facile avec un « client éclairé ». Pas facile de créer de la valeur lorsque l’on manque de lunette et que la personne en face est dotée de jumelles…
1 Moreno CARLOS (2013), Objets connectés, corps augmenté, usages sociaux : les enjeux de l’hybridation, 9 avril
2 Russell Clayton, La Nomophobie ou la peur panique de se retrouver sans téléphone portable, Le Monde, janvier 2015
3 L’entreprise L’express : France: 81% des entreprises ayant fait faillite en 2013 n’étaient pas sur internet
Professeur des Universités, auteur, co-auteur, et co-fondatrice de l’Observatoire du Cross-Canal et du Commerce Connecté (O4C).Auteur de « Réussir sa stratégie cross et omni-canal, pour des marques et des entreprises connectées », Régine VANHEEMS est spécialiste du marketing, de la distribution, du cross, de l’omni-canal et du commerce connecté. Après avoir co-dirigé le laboratoire de recherche en management de la Sorbonne, (laboratoire PRISM-SORBONNE), Régine VANHEEMS, docteur en Sciences de gestion, Professeur agrégé des Universités (Université de Lyon 3) a co-fondé et co-dirige actuellement l’Observatoire du Cross-Canal et du Commerce Connecté (O4C). Aujourd’hui auteur et co-auteur, Régine VANHEEMS est une experte reconnue dans son domaine : ses travaux ont ainsi été récompensés en France et aux États-Unis à plusieurs reprises. Conseillère, elle accompagne la digitalisation et la mutation vers le commerce connecté et réalise des conférences pour des entreprises (B to C et B to B). Rejoindre Régine VANHEEMS sur Linkedin Retrouver son Livre « Réussir sa stratégie cross et omni-canal, pour des marques et des entreprises connectées » |