Lors de son Café Studieux du 16 février 2018, les professionnels du développement RH réunis autour de l’équipe Meltis, Cabinet Conseil en Management ont évoqué les Soft Skills. La réunion du club qui compte plus d’une centaine de participants récurrents, avait en effet pour objet « Le manager à l’heure des Soft Skills : grand manitou ou bisounours ». Voici en substance, le contenu de leurs échanges.
Open innovation, intelligence artificielle, agilité, digitalisation… l’organisation de demain et les transformations qui l’attendent auraient-elles plus besoin d’intelligence émotionnelle que d’expertise métier de la part de ses managers? L’avènement de ces compétences dites douces ou comportementales verra-t-il l’émergence de nouvelles vocations ou la fuite des managers experts?
Une des questions récurrentes concernant les Soft Skills est relative à leur « légitimité ». Est-on confronté à un phénomène de mode ou à une réelle montée en puissance de ces compétences « dites douces » et à une modification progressive et généralisée des postures managériales ? Quels sont les facteurs qui ancrent les soft skills dans la nouvelle réalité des entreprises ?
L’effet génération
Si les générations Y ou Z et les millenials ne sont pas un véritable sujet en soi, leur présence dans l’entreprise bouleverse les codes managériaux. D’abord parce que le regard porté par cette génération sur le rôle du manager est différent : avec une volonté de plus grande autonomie, les millenials attendant plus de leur manager de comprendre leurs besoins et de leur faciliter la vie dans l’organisation que de leur donner des ordres. De nombreuses études tendent d’ailleurs à prouver que ces millenials n’ont que peu d’attrait pour la fonction managériale et ses applications trop hiérarchiques. Pour autant, les managers ne disparaîtront pas des organisations et c’est bel et bien la fonction qui devra évoluer vers moins d’expertise technique « hard » et vers plus de comportements de régulation, des postures de manager ressources, plus ancré dans le « soft ».
Complexité et agilité
Les environnements de plus en plus complexes (imprévisibles, non reproductibles, inter- et multi- dépendants) renforcent le besoin de communiquer, de s’adapter en continu et viennent ainsi challenger la capacité des organisations (et donc de leurs managers) à réagir positivement aux multiples contraintes rencontrées. Dans ce contexte, les softs skills et leur contribution à la réussite de l’application des méthodes agiles, sont un facteur prépondérant de réussite et une réponse à cette complexité. Prévalence de l’ajustement sur le contrat, négociation continue, communication en face à face, attention portée à la motivation des individus… les comportements agiles prennent notamment leur source dans la capacité des individus à mobiliser et mettre en application leurs soft skills au quotidien.
Le coup de pouce de l’intelligence artificielle
Le développement de l’intelligence artificielle pose de nombreuses questions : au-delà de la perte programmée ou fantasmée d’emploi humains au profit de machines, les avancées technologiques poussent également à la création de nouveaux métiers et de nouvelles compétences. Ainsi, 25% des emplois créés dans les grandes entreprises n’existaient pas il y a 5 à 10 ans et la plupart de ces nouveaux métiers font appel à des compétences relationnelles !
Le management joue ici un rôle décisif, car les organisations doivent non seulement intégrer ces nouveaux métiers mais également faire évoluer et former les collaborateurs au sein de l’entreprise. Il est également celui qui facilitera les jonctions entre ces différents métiers… sans parfois en comprendre le véritable contenu et sans en maitriser les aspects techniques. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous ? Le manager a toujours tenu ce rôle-là. Sauf que le rythme s’est fortement accéléré en quelques décennies voire quelques années avec la progression de la technologie et de la digitalisation.
La technologie comme catalyseur de la relation
La technologie et sa capacité à mettre en relation les individus bouleverse également les modes de travail et de collaboration. Quel que soit le poste, il est rare aujourd’hui de ne pas faire appel à des compétences transverses ou relationnelles. Un opérateur sur une chaîne industrielle utilise de l’information mise à disposition par un service informatique, lui-même en relation avec le service commercial. Avec des rythmes accélérés et des attentes clients en perpétuelle évolution, ce sont les interactions entre les acteurs (internes et externes) de l’organisation qui sont sources de la plus grande valeur ajoutée : réactivité, ajustement, régulation…
Le collaborateur hybride
La personnalité est depuis longtemps maintenant un facteur prépondérant dans la recherche, la sélection, l’intégration et l’évolution d’un collaborateur. Il est cité par 82% des recruteurs comme étant très important, contre 74% pour les compétences et 60% pour l’expérience…
La notion d’hybridation des compétences est aujourd’hui un élément clé pour l’organisation, les managers et les collaborateurs eux-mêmes : chacun étant attendu à la croisée des chemins entre son savoir-faire et son savoir-être.
Ainsi, des spécialistes du marketing travaillent avec des médecins spécialistes de la durée de vie d’organismes vivants pour élaborer des modèles prédictifs de durée de cycle de vie de produit ou de clients. Des sites de e-commerce utilisent par exemple des modèles « d’usabilité » de jeux vidéo pour optimiser l’expérience utilisateur de leur site. Ainsi la capacité à faire des liens, à aller chercher d’autres expériences ou expertises que les siennes, à mixer des compétences techniques et comportementales créée de la valeur, génère de l’innovation et met en lumière des ressources insoupçonnées.
Risques et opportunités
Alors que tous ces facteurs laissent apparaître que les soft skills sont plus qu’un effet de mode et que la posture des managers évoluera quasi inéluctablement vers plus de compétences douces, il est important ici de mettre en lumière les risques et les opportunités liés à une montée en compétences vers ses notions de bienveillance, d’empathie, d’intelligence émotionnelle, de souplesse…
Risques
- Perte de repères sur le rôle des experts, des expérimentés, des managers : un renouvellement des comportements et une réorientation du manager vers une posture de facilitateur pose inévitablement la question du « qui fait quoi » dans l’organisation.
- Grand manitou : le manager bienveillant, empathique… doté de qualités relationnelles ne doit pas être envisagé comme un gourou qui guiderait ses disciples à travers les méandres de la complexité organisationnelle
- Bisounours : le manager qui utiliserait ses soft skills n’est pas non plus un passeur de plats qui n’aurait qu’à être gentil et à fournir les ressources nécessaires pour faire fonctionner ses équipes. Le manager garde sa fonction première de régulateur et quand il le faut, en situation de crise par exemple, un rôle décisionnaire ou d’aide à la décision
- Syndrome de la grenouille : le changement qui s’effectue de façon lente n’est pas forcément perceptible et la conscientisation de ce changement en est parfois perdu et les ajustements qui auraient pu être nécessaires ne se font pas. Ainsi, il est nécessaire d’être vigilant pour ajuster en continu et adapter ces modifications à la culture et aux ambitions de l’organisation pour ne pas justement tomber dans le syndrome du bisounours ou du grand manitou.
Opportunités
- Faire émerger une nouvelle forme de management : au cœur du sujet des soft skills on peut parler d’innovation managériale. A nouvelles attentes et nouvelle posture managériale, nouveaux process, nouvelles façons d’organiser le travail, de communiquer, de faire du feedback, de réguler…
- Révéler de nouveaux talents : si les millenials ne sont pas attirés par le management d’aujourd’hui, celui de demain, celui des soft skills sera plus en adéquation avec leur aspiration, les conduisant par là-même à se révéler au sein de l’organisation.
- Remettre l’humain et la relation au cœur de l’objet de l’organisation : les études qui prouvent que le bien-être au travail est un facteur puissant dans la quête de productivité sont légions. L’organisation peut-elle alors envisager la relation humaine comme son pivot central ? L’objet même de l’organisation et de l’entreprise peut-il se concentrer avant tout sur l’humain (et par rebond sur sa performance) en repensant également ses logiques de temporalité en termes de retour sur investissement ?
- Passer du skill-burn au growth-mindset: l’opportunité de développer ses soft skills permet également de changer d’état d’esprit et de pouvoir envisager que le développement de soi est possible tout au long de la vie et que l’inné n’est que le socle qui nous permettra de faire grandir nos autres compétences, de développer nos qualités individuelles et d’appartenance au groupe.
- Repenser les processus RH de l’entreprise : l’apparition ou plutôt la prise en compte de nouvelles compétences vient forcément impacter la sphère RH, qui au-delà de les recenser et de les rechercher lors de recrutement devra les organiser, les faire grandir, les valoriser en interne… le tout venant redéfinir encore le périmètre du développement RH (formation, accompagnement…)
Aperçu des échanges
Les participants présents lors de notre Café Studieux ont pu échanger sur la question et sur leurs expériences et bonnes pratiques respectives.
Les impacts les plus perceptibles de la nécessité d’évoluer vers la question des soft skills sont :
- L’évolution des attentes des collaborateurs envers des managers experts promus il y a 10 ou 15 ans. Très légitimes sur les enjeux techniques et opérationnels, ces managers sont souvent peu (sans généralisation) portés sur les enjeux liés au relationnels.
- Le besoin de signaux de reconnaissance, la culture de l’instantanéité et du like des sphères personnelles s’ancre dans les comportements professionnels et les besoins en signe de reconnaissance grandissent
- La question de la capacité à animer les talents est de plus en plus prégnante avec l’évolution de ceux-ci, les questions d’équilibre vie pro-vie perso…
Comment est impulsée l’évolution vers les soft skills dans vos organisations ?
- Faire évoluer la culture et agir dans une logique de progression continue, sans transformation brutale :
- Réorganisation des espaces de travail : plus d’espaces collaboratifs mais aussi des espaces pour des réunions à 2 ou 3
- Favoriser les moments d’échanges informels, créer les opportunités pour échanger autrement
- Collecter du feedback en continu auprès des équipes
- Impulser une dynamique collective et pas seulement auprès de jeunes générations. L’ensemble de l’organisation est concerné : du codir aux opérationnels de terrain, des collaborateurs présents depuis des dizaines d’années aux millenials récemment recrutés.
- Mettre à plat les process dans une logique d’agilité
- Sensibiliser les managers dès le onboarding dans une logique de corresponsabilité entre organisation, RH et managers
- Donner des exemples concrets, valoriser les réussites
- Agir sur deux volets : l’épanouissement individuel et la réussite collective
- Mettre en place un accompagnement et des outils spécifiques : mentorat, coaching, codéveloppement, utilisation des inventaires de personnalité (DISC par exemple) pour découvrir son profil de communication et celui de ses collaborateurs, formation feedback, assertivité, écoute active, créativité… mais aussi moments de cohésion spécifique et d’inspiration : séminaire, hackathon, ateliers créatifs, learning expedition…
Ainsi si un consensus s’est clairement dégagé sur l’opportunité réelle que représente l’avènement des soft skills au sein de l’organisation, pas de recette miracle pour les faire grandir mais des accompagnements ciblés et adaptés à chaque culture et à chaque stratégie.