IMPACT / La rubrique qui décrypte les tendances de notre vie quotidienne sous l’angle RH. Les frontières entre vie perso et vie pro sont de plus en plus fines. Chaque mois, Meltis s’intéresse aux tendances qui impactent notre vie personnelle et analyse leur résonance dans la sphère professionnelle. Focus ce mois-ci sur nos habitudes de consommation.
Alors que les Oscars viennent de couronner ses vainqueurs 2020, Impact s’intéresse ce mois-ci à la stratégie de l’industrie du cinéma pour attirer toujours plus de spectateurs en salle. Nous verrons que les studios Hollywoodiens et Français parviennent avec des recettes semblables à rassembler autour de leurs films des communautés de spectateurs suscitant pour certaines sorties de films un engouement et un engagement spectaculaires. Et comme Impact décrypte chaque mois notre vie perso sous l’angle RH, nous verrons comment les professionnels RH pourraient s’inspirer d’Hollywood pour favoriser l’engagement collaborateur.
Si on observe le box-office français de 2019*, que peut-on observer ? Sur les 20 films qui composent le haut du classement, les 19 premiers sont des suites, des adaptations, des rééditions, des remakes, des nouveaux épisodes de ces fameuses franchises telles que Marvel, des séquels, préquels… : les deux films français présents dans ces 19 ne faisant pas exception à ce qui semble être la clé du succès en 2019.
Cet état de fait s’inscrit dans une année historique en termes de nombre d’entrées. En 2019, le CNC enregistre 213,3 millions d’entrée en France soit la deuxième année meilleur année du siècle ! Que nous disent ces chiffres sur l’engagement des spectateurs ? Et des collaborateurs ?
Le sentiment d’appartenance, version communauté de fans
Certains films ou certaines sagas sont devenus cultes au cinéma. Quel que soit le lien (personnages, univers, histoires, musique…) le sentiment d’appartenance à certaines communautés de fans est si fort que les conventions se multiplient, les figurines ou costumes se vendent par milliers, l’engouement est mondial, les fans savent tout sur tout, rien n’a de secret pour ces inconditionnels. Les histoires sont détaillées, les personnages fouillés, les univers complexes et les spectateurs adhèrent et attendent toujours plus nombreux, toujours plus impatiemment la suite, souvent sans regard critique ou objectif sur la qualité des productions ou la cohérence des histoires.
Ainsi pourrait-on imaginer le même phénomène pour l’entreprise : que la création d’un storytelling pointu soit la source d’un engagement collaborateur fort ? Que la « fan-attitude » pourrait aussi toucher les salariés d’une organisation ? On peut avoir un début de réponse à cette question si l’on considère les cas encore exceptionnels de ces chefs d’entreprises charismatiques et presque cultes tels que Steve Jobs, Bill Gates, Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson… Histoire personnelle, prise de position, convictions… tout le monde connaît les trajectoires de ces « chefs » presque mythiques. Le succès et l’engouement autour de leur « empire » ne se dément pas ou presque. Les histoires sont belles et bien mises en scènes, les décors toujours bien pensés, il est toujours mention quelque part de disruption, de pensée analogique… Leur capacité à vous faire entrer dans leur univers, en tant que consommateur mais aussi en tant que collaborateur, à créer une connexion, à créer au-delà de leur personnage une adhésion à leurs produits ou leur entreprise peut largement se comparer à la performance des géants du cinéma. Vraie inspiration pour les directions d’entreprise ou les RH ou graal quasiment inatteignable ? Une entreprise pourrait-elle créer un engouement aussi fort que Star Wars ? Ou à minima s’en inspirer ?
L’entreprise saison 2, 3, 4… confort ou prise de risque ?
Alors que le cinéma pourrait souffrir de la concurrence des plateformes de streaming type Netflix, il semble s’en inspirer et la profusion des suites diffusées au cinéma confirme la tendance. Réelle opportunité économique, cette mouvance de la « suite » (et son succès) nous révèle qu’une fois l’attachement ou l’engagement acquis celui-ci perdure. Les puristes diront que recycler est beaucoup moins intéressant que créer mais au fond n’est-il pas plus dangereux de prendre le risque de déplaire à un spectateur déjà conquis ? Ce qui pourrait être perçu comme une incapacité à créer n’est-il pas au contraire une énorme capacité à se réinventer pour continuer à plaire ? En entreprise vaut-il mieux faire évoluer, ré-enchanter et reconquérir sans cesse ses collaborateurs ou se réinventer pour recruter de nouveaux talents ?
L’entreprise peut-elle par exemple envisager chaque plan de transformation comme la nouvelle saison d’une série passionnante où les acteurs RH, les dirigeants, la communication interne auraient pour rôle et pour mission l’engagement fort d’une communauté de collaborateurs. Vous remarquerez d’ailleurs la proximité des deux champs lexicaux… La raison d’être, la vision, les valeurs seraient alors le fil rouge ou l’intrigue principale et l’engagement collaborateur une sorte de box office de la performance ?
La nostalgie comme moteur ?
Les suites favorisent clairement les phénomènes d’identification. Les personnages ont-ils évolué comme moi ? Mon évolution est-elle aussi positive ? Que puis-je trouver dans ce parcours pour m’inspirer ? Véritable réponse à une nostalgie ambiante : cinéma, musique, mode… le recyclage, le « c’était mieux avant »… a t-il vraiment sa place en en entreprise ?
Dans sa marche en avant, l’entreprise a plutôt tendance à voir dans le rétroviseur des pratiques aujourd’hui décriées en terme de management, d’organisation, de cloisonnement… Pour autant et alors que les nouvelles pratiques managériales diffusent et infusent, que le collaboratif, la circulation de l’information, le feedback, la responsabilisation ont « le vent en poupe », certaines voix commencent à s’élever. Si la nostalgie n’a clairement pas sa place en entreprise, une certaine prise de hauteur et de recul s’impose sur par exemple le télétravail, l’holocratie, le tout collaboratif… L’entreprise aurait elle peut-être plutôt tendance à dire tout n’était pas mieux avant mais que les expériences du passé peuvent aussi être des guides si elles sont bien décryptées et utilisées. Comme le cinéma me direz-vous qui ne ressort pas les originaux mais propose des rééditions ou des suites.
Quoi qu’il en soit dans le cinéma ou la télévision, les communautés de fans sont tout de même de plus en plus exigeantes, n’hésitant pas à faire part du mécontentement si un épisode n’est pas à la hauteur ; ce qui ne les empêchera probablement pas d’aller voir le suivant… mais qui orientera souvent fortement les scénaristes des prochains épisodes. En entreprise, le phénomène est un peu identique et les collaborateurs en quête de sens sont de plus en plus nombreux à utiliser leurs ressentis, leurs convictions personnelles et leurs émotions pour guider leurs choix professionnels. Des choix qui impactent largement les stratégies des entreprises, leur travail sur la marque employeur, sur la déclinaison concrète de leurs valeurs, sur leur transformation au quotidien et dans une vision plus large. Ainsi et comme une suite de film doit apparaître cohérente en termes scénaristiques ou esthétiques, le storytelling de l’entreprise ne peut pas se limiter à une jolie histoire mais doit être décliné partout : vision, valeurs, management, plan d’actions… tout compte pour engager le collaborateur dans son histoire avec l’entreprise. Et là pas question de lui raconter d’histoires !
*Films sortis en 2019 ayant dépassé 1 000 000 de spectateurs en France – arrêté au 15 février 2020. Source wikipedia